Le complexe de l’anonyme
Depuis la parution du numéro 49 de Chronic’Art certains remous agitent, non pas la “blogosphère” puisque ce terme est probablement l’une des plus vastes fumisteries de ces dernières années, mais tout du moins les égos d’un certain nombre de blogueurs.
Alors évidemment, ce qui fait le plus parler, surtout depuis la diffusion sur Flickr de l’objet du délit c’est le Worst Of. Ce qui est bien malheureux puisque ces quelques misérables lignes (brocardant, pour faire exhaustif, un podcasteur réputé marrant, une testeuse de produits de beauté estampillée “blog féminin”, un jeune néoblogueur nomprénom.fr et une ministre que le ridicule ne tuera pas) ne représentent pas un dixième du dossier.
Certains veulent y voir une énième tentative d’opposition entre blogueurs et journalistes, mais ils n’ont à mon avis pas lu le dossier publié dans Chronic’Art tant ils tapent à côté de la plaque. Même si ce débat est légitime, il n’en est pas question ici. Le dossier pose une problématique intéressante opposant le média lui-même (le blog, en tant qu’espace d’expression) et ceux qui, désirant faire main basse dessus (presse, publicitaires, communicants), sont à l’origine d’une uniformisation sans intérêt des contenus, sans parler des fameux et mirifiques “posts sponsorisés” qui sont au blog ce que TF1 est à la culture.
Le phénomène du blog ne date pas d’hier, pourtant il n’a jamais été aussi communautarisé que de nos jours. Les “blogs de geeks”. Les “blogs de filles”. Des cases bien pratiques pour que l’annonceur X ou Y sache qui inviter pour des soirées branchées. Des cases qui, pourtant, n’auraient jamais eu lieu d’être à l’époque où le blog était un lieu de création, où l’on pouvait tout aussi bien discuter du dernier film sorti que d’une marque de gateaux, ou tout le monde se foutait de sa supposée “influence” puisque le terme n’était pas encore livré en standard avec la célébrité 2.0. Une classification qui, à mon sens, a amplifié le phénomène du “blog clone” et multiplié les tentatives désespérées de Joe Schmoe de sortir de son trop vulgaire anonymat.
Combien de “blogs geeks” recensés sur la toile francophone ? Combien d’articles tous identiques vantant les mérites du dernier SmartPhone ou du dernier PDA, quand ceux-ci ne sont pas carrément des posts de commande rémunérés par le constructeur ? Pourquoi les étiquettés “blogs de fille” sont-ils d’un niveau consternant rempli de pouffiasseries à peine dignes d’une collégienne ? De la créativité, que Diable ! De la personnalité ! De l’audace ! Coller aux critères austères et étriqués des média classiques, c’est le meilleur moyen de flinguer ce qui représentait jusqu’à il y a peu un formidable espace de liberté et de créativité. Pourquoi aller dans le même sens que la marée ? Pourquoi vouloir être “recommandé par des Influenceurs” ? La célébrité, les invitations aux soirées, ce sont des effets de bord pas désagréables certes, mais qui ne doivent pas constituer un but. Je suis un anonyme et je le vis bien. Pourquoi chercher à tout prix la reconnaissance de ceux que l’on voudrait comme pairs en écrivant la même chose qu’eux ? Il n’y a rien à gagner à singer la presse spécialisée, surtout en foutant au pilon des règles aussi élémentaires qu’un affichage clair et immédiat d’une publi-information.
Aussi lorsque, confortablement installée dans sa case d’élue meilleur blog de la catégorie mode-beauté par aufeminin.com, festival de Romans 2008, une apprentie-journaliste s’enhardit de pouvoir donner des leçons de déontologie à deux blogueuses alors que l’étron qui lui sert de blog ressemble à un catalogue de la Redoute, je me gausse. Certains font des écoles de journalisme pour aller en baver pendant des mois à couvrir une guerre civile en Angola, d’autres font des écoles de journalisme pour s’étaler gratuitement du Mascara sur la gueule. C’est pathétique.
Edit: puisque l’auteur du blog dont je parle dans le paragraphe ci-dessus s’est manifestée dans les commentaires, je profite de l’occasion pour exhiber ce chef-d’oeuvre qui est un parfait exemple d’à peu près tout ce qu’on peut faire de pire et qui représente parfaitement ce sur quoi l’article Chronic’Art et moi même avons choisi de copieusement vomir. Tout y est, ainsi que la petite mention qui va bien, évidemment en fin de post une fois que le lecteur égaré s’est farci la pub déguisée. Merci de votre attention.