Quand je rentre
Je m’installe sur un des fauteuils en plastique jaunes de la station Grands Boulevards. Près de dix minutes d’attente, je sors l’iPod de la poche intérieure droite de mon manteau et cherche parmi la liste d’artistes le nom de celui qui collerait le mieux à mon état d’esprit.
Tandis que je me décide pour Grizzly Bear, l’odeur frappe instantanément, l’espace d’un instant j’ai l’impression que l’on vient de me faire passer une pleine bouteille sous le nez et j’ai le sentiment que mes bientôt six mois de sobriété amplifient ma perception des vapeurs alcooliques. Je repense à ce concert de Pearl Jam durant lequel, alors que je me retrouvais balloté d’un bout à l’autre de la scène, un gars devant moi essayait avec peine de boire au goulot sa vodka qu’il avait réussi, allez savoir comment, à faire pénétrer dans l’enceine du Palais Omnisports, mais dont l’ensemble de la fosse, déjà désespérée de ne pas parvenir à capter le moindre filet d’air frais, pouvait profiter des relents.
Elle est forte, presque synthétique. Colle, peinture, solvant, je me demande quel produit chimique incommodant l’on vient d’ouvrir sur ma droite. Mon voisin de siège se lève et s’en va au bout du quai: à côté de lui, un type vient de vomir la totalité de ce qui ressemble très nettement à un tartare de boeuf. Aisément reconnaissable puisqu’il sort à l’identique de ce à quoi il ressemblait quelques heures plus tôt. Le mystère de l’odeur d’alcool élucidé, je me replonge dans ma partie de Klondike, la 127ème. J’entends le type continuer de cracher et tousser. J’éviterai juste de m’assoir à côté de lui dans le wagon. Machinalement, je place un 5 de pique sur un 6 de carreau et j’attends que le métro arrive.