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Dans la catégorie: Écrits — kwyxz le 18/07/06 à 1:22

J’ai dû rester quatre ou cinq heures inconscient. Oui voilà, quatre ou cinq heures. Il fait nuit, je pense. J’ai des fourmis dans la jambe droite, mais rien d’insupportable. Je me nomme Michael Hawkins. J’ai 32 ans et je suis journaliste.
Il y a deux mois on m’a chargé d’enquèter sur une affaire de blanchiment d’argent dans un casino de Las Vegas. Presque une enquète de routine dans cette ville. Presque. J’étais arrivé avec $1000 en liquide, une valise dans laquelle j’avais dissimulé mon appareil photo, un dictaphone, quelques fringues de rechange et un revolver. Un détail, dans le coin. Dans les casinos, quasiment tout le monde porte un revolver sur lui sauf ces débiles de touristes qui se font régulièrement dépouiller dans les ruelles transversales sitôt leur jackpot ramassé. Les entrées des backrooms, dans lesquelles se passent les vraies parties intéressantes, étaient le lieu d’une séance de fouille au corps assez spéciale. Chaque joueur se deshabillait entièrement. Ses vêtements étaient fouillés pendant qu’on vérifiait qu’il ne portait aucune arme directement scotchée sur sa peau. Mon objectif était d’entrer dans ces backrooms, de faire connaissance avec les habitués, et d’en devenir moi-même un. Jusqu’à approcher Fred Lombardi, le propriétaire d’une vingtaine de casinos de Vegas, mouillé jusqu’au cou dans une affaire de trafic de cocaïne.
Dehors, j’entends quelques grillons. Il fait définitivement nuit.
J’ai commencé par jouer comme n’importe quel grouillot, à la grande table du hall principal du Millenium Casino. Surveillant le croupier d’un oeil, les joueurs de l’autre, je m’efforçais de miser de manière régulière, gagnant petit mais gagnant souvent. Afin de ne pas éveiller le moindre soupçon. Au bout de trois semaines à ce rythme, le croupier me lançait des regards entendus à la moindre de mes mises. Au bout d’un mois, un grand type costaud vint me voir, sourire carnassier aux lèvres, pour me proposer de vraiment mettre mon talent à l’épreuve.
J’ai un peu faim. Il me reste un morceau sous la main, mais il n’est plus vraiment chaud. Je mords dedans, tire un peu pour détacher la peau de la viande, et déguste. Une mouche finit par se poser sur l’os froid. Régale-toi, va, il en reste un peu, j’ai terminé.
J’ai joué tous les soirs dans la petite salle au fond du couloir à gauche, après les cuisines derrière la porte à double-battants du fond du hall principal. Deux molosses gardaient l’entrée, Ben et Jerry. Ouais, comme les crèmes glacées. Ils me fixaient et faisaient un petit signe de la tête alors que je passais devant eux. J’ai joué avec Marco Stampari, avec Lee Stonefield, avec Jonas Marksberg, avec Sergei Rochenko, avec tout un panel d’ordures dont les noms font de temps en temps la une des journaux. Pour eux, j’étais Owen McNamara, fils d’irlandais, descendant des immigrants du Mayflower. Ce qu’ils étaient censés ignorer, c’est qu’Owen McNamara, un vieux pote de lycée, s’était fait descendre par son dealer quelques années auparavant pour une sombre histoire de dettes.
Au loin, j’entends un chien qui hurle à la mort. Un loup peut-être ? Puis le silence revient, uniquement troublé par les pulsations de mon coeur et le bruit de ma respiration.
De fil en aiguille, de partie en partie, gagnant parfois, perdant souvent, mais honorant mes dettes rubis sur l’ongle, je fus présenté à Alfredo Lombardi. Il m’avait observé, disait-il. Il aimait mon style de jeu et voulait m’inviter à sa table. J’avais planqué un micro-enregistreur dans la semelle de ma chaussure. Ce soir-là il ne parla pas beaucoup, préférant se concentrer sur ses cartes. Je le laissai gagner facilement, histoire, dans un sourire, de placer que j’aimerais beaucoup avoir l’honneur d’une revanche. Il se marra franchement et me promit d’y penser.
Mon pied me démange. C’est ennuyeux.
Deux jours plus tard, il vint en spectateur observer ma technique de jeu. Sa femme, Gabrielle, l’accompagnait. Une actrice, ne manquait pas de dire Lombardi. Probablement une de ces starlettes venues à Hollywood connaître la gloire, mais échouant manque de rôles dans un obscur cabaret de Vegas avant d’être finalement repérée par un vieux pourri bourré de fric. Elles étaient des centaines dans ce cas. Mais Gabrielle était splendide. Tout en elle respirait la grandeur, la volupté, et le sex appeal. J’étais conquis. Elle me jeta un regard plein de mépris alors que je la dévorais des yeux. Ce jour-là, je me fis ridiculiser au poker, sous l’oeil goguenard de Lombardi.
Les démangeaisons se font de plus en plus insistantes. Je ferme les yeux pour ne plus y penser. Je me concentre sur ma mémoire et le récit de ces soixante derniers jours.
Deux jours après cette partie, un message téléphonique m’apprit que Lombardi voulait me rencontrer durant la soirée dans une suite de l’un de ses hotels. J’avais entendu dire qu’il organisait souvent des parties de poker au calme, dans une ambiance plus raffinée et plus luxueuse. Je me rendis donc au point de rendez-vous, mais la chambre était vide. Un message dactylographié posé sur le lit me disait de m’installer confortablement et de patienter quelques instants. J’eus à peine le temps de m’assoir et de boire un whisky, dont une bouteille était posée près du canapé, que Gabrielle Lombardi surgit par la porte de la salle de bains. Elle était entièrement nue sous un long foulard qui ne couvrait guère que ses épaules. Elle se dirigea d’un pas assuré vers l’entrée de la chambre, dont elle verrouilla la serrure. Puis elle se retourna vers moi et sans un mot m’embrassa fougueusement. Nous fîmes l’amour à trois reprises cette nuit-là. Alors que je m’endormais dans le lit, je me demandais encore si je n’avais pas rêvé et si tout ceci était bien réel.
Les démangeaisons ont disparu. J’ai un peu froid. Je crois que le jour se lève. J’entends quelques oiseaux.
Putain de whisky. Je n’avais pas fait l’amour avec Gabrielle Lombardi. Elle m’avait deshabillé et avait joué avec mon sexe le temps que le rohypnol fasse effet. Ensuite elle avait ouvert la porte de la chambre à Ben et Jerry. Elle était restée devant moi à se masturber, et ils avaient posé leurs questions. Ils avaient fouillé ma chambre peu de temps après mon arrivée, quelques semaines plus tôt. Ils avaient trouvé la paire de chaussures aux semelles creusées dans laquelle je cachais mon enregistreur. Ils avaient espéré que je me trahisse, mais Fred Lombardi s’était lassé d’attendre. Alors ils m’ont interrogé. Et sous l’effet de la drogue, j’ai tout raconté. Enfin, je crois. Sinon, je ne serais pas ici.
Ils m’ont embarqué en camion dans le désert. Autour de Las Vegas, il n’y a que ça. Du désert. La légende dit que certains endroits bien connus de la pègre sont remplis d’excavations: des tombes déjà toutes prètes pour se débarasser des gèneurs. Je me suis réveillé dans l’obscurité quasi-complète, un tuyau glissé entre deux planches me permettant de respirer et de voir la lumière du jour. J’ai attendu cinq jours avant de me résoudre à enfin manger quelque chose. Je suis de nouveau en train de perdre connaissance. Pour de bon, peut-être ? Malgré le garrot, j’ai perdu beaucoup trop de sang.
Les démangeaisons reprennent. Le plus étrange, c’est ce sentiment que mon pied droit est toujours là.

5 Commentaires

Commentaire de gromit

18/7/2006 @ 8:41

Certains passages rappellent l’excellent casino de Scorsese. Notamment la fin où Michael Hawkins finit un peu de la même manière que certains protagonistes du chef-d’oeuvre du grand marty.


Commentaire de kwyxz

18/7/2006 @ 8:44

Exceptionnel film par ailleurs. Probablement le meilleur dans lequel Sharon Stone jouera jamais.


Commentaire de NickSan

18/7/2006 @ 12:34

Moi la narration me fait penser à du Sin City ;)Attends tu déconnes, Sharon Stone elle a joué dans le merveilleux Sliver! bon ok c’est pas crédible…


Commentaire de Menstruel

18/7/2006 @ 18:13

Héééé! Pall Mall ce ptit côté pantalon à bretelles et feutre mou.
Mais pour un pro pareil, se faire pesquer aussi fastoche, ça rend un peu triste (surtout qu’il a l’air balèze au blackjack).

A part ça, je t’ai vu sur MySpace et je t’ai pas reconnu, dis donc.
Fichtre.
Blob.

A part ça (2) ça va, ou bien?


Commentaire de gromit

18/7/2006 @ 18:14

Casino, ça fait trois heures mais ça donne l’impression de durer 90 mn tellement le montage est hallucinant…


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