Lundi (5)

Dans la catégorie: Écrits — kwyxz le 17/08/05 à 3:14

Ce jour-là, le Monde cessa d’exister. Une lumière intense envahit l’espace, et les rues de Paris prirent l’apparence de l’enfer. L’air disparut en un tourbillon de chaleur de plus d’un million de degrés. Une boule de feu gigantesque engloutit les voitures, les terrasses de café, les arbres, les immeubles, et vaporisa la Seine instantanément. Le nuage de chaleur se propagea à une vitesse folle dans toutes les directions, détruisant tout sur son passage. Un nuage de fumée radioactive colossal s’éleva dans le ciel avant d’atteindre la stratosphère et de se propager sur l’ensemble de l’Europe. Toute vie avait été instantanément annihilée sur un diamètre de plus de quarante kilomètres.
Ce jour-là, plus de six millions de personnes disparurent en moins d’une demie-seconde. Un cratère monstrueux avait maintenant pris la place de la capitale française. La Seine venait s’y jeter et semblait disparaître au fond d’un gouffre sans fin. Parkings souterrains, lignes de métro et de RER n’avaient fait qu’amplifier la profondeur de l’excavation. Aux bordures du cratère, les incendies faisaient rage. Les brûlés se comptaient par milliers, perdant ça et là un bras, une jambe, un oeil, un morceau de peau. Leurs corps mutilés avaient fondu sous l’effet de la chaleur, et l’absence de toute eau à proximité n’aidait pas les équipes de secours arrivées trop tard, beaucoup plus tard, et dépourvues de moyens.
Ce jour-là, plus de quinze millions de personnes moururent quelques heures après que Fei et son collègue Pai, les deux pilotes, eurent accompli leur mission. La France se retrouvait sans aucun commandement: hormis le Ministre de l’Outre-Mer et le Ministre de la Santé, l’ensemble du gouvernement était porté disparu. Le haut commandement des Armées était décimé. Aucune riposte française n’eut le temps d’être mise en place.
Ce jour-là, le gouvernement anglais décida moins de dix minutes après la destruction totale de Paris une attaque immédiate visant la Chine et ses alliés. Quelques minutes plus tard, le gouvernement américain, se basant sur les informations de ses agences de renseignements, lançait une opération de destruction systématique des armes nucléaires chinoises. Trois missiles ballistiques intercontinentaux furent tirés depuis des bases américaines situées non loin du Japon. Deux furent détruits en vol par l’armée chinoise. Le dernier raya Pékin de la carte, coupant court aux rêves fous des dirigeants chinois. La Corée du Nord réagit en attaquant immédiatement le Japon. Tokyo fut détruite cinq heures après Paris, à la minute près. Plus d’une centaine de missiles partirent depuis diverses bases, ayant pour cibles des villes américaines, russes, iraniennes, indiennes, pakistanaises, anglaises, allemandes, espagnoles, israëliennes, sud-africaines, brésiliennes. La Terre s’illumina de mille feux. Le Monde ne fut plus qu’un gigantesque incendie.
Ce jour-là, les poussières radioactives qui se répandirent dans la stratosphère réduirent à zéro la couche d’ozone et instaurèrent en quelques semaines un climat glacial. Les orages et tempêtes se succédaient à une vitesse ahurissante. Des séismes avaient lieu toutes les secondes, partout sur le globe. De gigantesques impulsions électromagnétiques avaient provoqué la destruction du moindre composant électronique. Aucun appareil médical n’était plus fonctionnel. Aucune espèce, animale ou végétale, n’avait plus les moyens de subsister. Les hommes s’étant réfugiés dans les rares abris anti-atomiques disponibles avaient négligé un certain détail: ceux-ci ne permettaient pas de survivre éternellement sans nourriture saine. Il suffit de moins de quatre mois pour que la Terre devienne une planète dépourvue de toute forme de vie.
Ce jour-là, nous avions compris que nous serions les derniers représentants de la race humaine. Nous avions décollé six mois auparavant à bord d’un astronef grand luxe conçu par la NASA. Nous étions vingt-et-un volontaires, de diverses nationalités, pour une mission sans voyage retour. Vingt-et-un doux dingues s’en allant coloniser Mars, et y habiter une base dont les fondations avaient été successivement transportées par plus d’une centaine de vols non habités. Cette base, la NASA avait choisi de l’appeller Crusoë. A vrai dire, je crois qu’il n’y avait pas de meilleur choix. Vingt-cinq ans plus tard, nous sommes désormais cent Robinson à habiter cette base, à nous alimenter de légumes que nous faisons nous-mêmes pousser sous serre via un ingénieux mécanisme de synthèse de l’oxygène. J’ai trente ans. Tu es mon second enfant, mon premier fils, et tu es né hier matin. Je suis Français. Ta mère est Chinoise. En cherchant sans succès à trouver le sommeil cette nuit, j’ai eu peur pour toi. Peur que nous répétions les mêmes erreurs un jour. Peur que notre communauté pour l’instant si paisible ne résiste pas à la folie des hommes. Je sais que les autres qui, comme moi, ont pu voir cet éclair lumineux à la surface de la Terre ce jour-là, à huit heures six minutes heure de Paris, me comprennent et partagent ce sentiment.
Ce jour-là, j’ai décidé que j’aurai au moins un fils à qui raconter cette histoire. Et qu’il se nommerait Lundi.

26 Commentaires

Commentaire de Saki

17/8/2005 @ 8:39

Terrible.
Merci.
(Et bravo, bis, encore)


Commentaire de MacTuitui

17/8/2005 @ 9:53

J’aime beaucoup. D’autant plus qu’étrange coïncidence, je pourrais être le héros.


Trackback de .::Evohe::.

17/8/2005 @ 10:29

"Lundi"

Et je me prosterne. On est à 8 mois des 20 ans de Tchernobyl, l’Iran veut faire mumuse avec la bombinette, la “Fraaaaaance” lance un programme de modernisation de ses missiles nucléaires et Kim-de-Corée veut régler ses complexes de fils-à-papa en…


Commentaire de choda

17/8/2005 @ 10:40

“le Monde cessa d???exister”
Putain de censure !!!

Mais, tu es sûr que les cafards n’ont pas survécu non plus ?


Commentaire de Esildut

17/8/2005 @ 10:52

Magnifique et fragile. Merci.

Ca fait peur comme ça sonne vrai.


Commentaire de Ben Kenobi

17/8/2005 @ 10:57

Tu avais pas une version plus optimiste en stock ??

Sinon bon boulot. Tu as un style très sympa. ;)


Commentaire de kwyxz

17/8/2005 @ 11:19

Ben Kenobi: je t’avoue qu’en ce moment, ma vision du Monde n’a rien de très optimiste.

Quoi qu’il en soit, merci à tous pour vos encouragements ! Ils me vont droit au coeur, je suis heureux que ça vous ait plu.


Commentaire de Gregouze

17/8/2005 @ 11:52

Les temps ne sont pas à l’optimisme … Serais-tu, comme moi, réveillé par France Info tous les matins :)

En tous cas, félicitations pour le style, très sympa à lire, j’ai même attendu le 4 avec une certaine impatience.


Commentaire de wilou

17/8/2005 @ 11:59

C’est drôle, j’ai écris un truc un peu similaire (mais moins bien écrit forcément) : http://arachnomorphe.free.fr/blabla.php?idc=211

en plus hier j’ai vu human nature et j’ai envie de te dire, it’s the human nature


Commentaire de Le_Zouave

17/8/2005 @ 12:03

pour choda, c’est le scorpion qui résite aux radiation (90000 rad pour un scorpion et 600 pour l’homme)


Commentaire de ana

17/8/2005 @ 12:41

Cinglant réalisme, bravo :)


Commentaire de DrNauD

17/8/2005 @ 12:42

Bravo, c’était très agréable à lire, n’hésite pas à recommencer.


Commentaire de thorck

17/8/2005 @ 16:43

très bien construit, bravo
ça reflète largement ce qui peut se produire.
continue en tout cas j’aime bcp :)


Commentaire de bart

17/8/2005 @ 22:00

Bon, alors j’ai lu d’une traite les 5 parties. Plusieurs remarques :

– L’idée de raconter plusieurs tranches de vies qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre est bonne, ça permet à la fois d’avoir un petit aperçu de toutes les vies qui ont été stoppées net, et de se rendre compte à quel point ces “petites” vies sont négligeables aux yeux des géostratèges qui vont les foutre en l’air. En plus, la “hiérarchie” entre ces tranches de vie (d’abord le “petit jeune”, ensuite le portier de nuit, et après l’employée du ministère) est bien pensée.

– Le fait de laisser la quatrième et dernière “tranche de vie” à ceux qui vont larguer la bombe est judicieux. Eux aussi ont leur vie propre, mais en même temps ils agissent pour ceux qui considèrent ces tranches de vie comme négligeables. C’est une bonne transition pour la dernière partie.

– La dernière partie est bien décrite. D’abord Paris qui est rayée de la carte, ensuite l’engrenage de la violence et l’embrasement des autres villes (ça me rappelle l’introduction d’Akira, en pire), enfin la “condamnation à mort”, prévisible de ceux qui ont survécu et qui se sont réfugiés dans les abris.

– J’ai quand même un bémol pour la fin. Je la trouve trop optimiste. Le fait qu’il y ait des survivants, je veux bien à court ou moyen terme, mais qu’ils soient capables en plus de se reconstruire ailleurs, ça me parait peu probable. Et les histoires de Robinson ne sont jamais aussi intéressantes que quand il n’y en a qu’un. Bien sûr, il faut de l’espoir, mais j’ai trouvé que malgré la bonne idée de montrer des gens qui ont été témoins de cette horreur dans toute son étendue et qui auront ce souvenir gravé à vie dans leur mémoire, j’aurais préféré que ce ne soient pas des futurs “colons martiens”, mais de simples astronautes partis pour je ne sais quelle mission de courte durée (et donc sensés revenir sur Terre). Non seulement ils comprendraient à quoi ils ont échappé en voyant la Terre s’embraser, mais ils comprendraient également qu’ils seraient condamnés à mort eux aussi. Le journal de leurs dernières heures, écrites pour rien puisque personne ne serait sensé le lire, serait sûrement poignant. Et s’il y a plus d’un astronaute dans la navette et qu’au moins un d’entre eux pète les plombs…

– L’autre option que j’aurais envisagé aurait été de raconter l’agonie d’un des derniers survivants, à la manière d’une nouvelle que j’ai lue il y a quelques années, écrites par un disciple de Lovecraft et corrigée par celui-ci (qui a fait remarquer que les insectes et les petits lézards seraient capables de survivre plus longtemps).

– En tout cas, ça ne veut pas dire que ta fin est mauvaise. Elle est juste un peu trop optimiste. Mais bon, je ne vais pas bouder mon plaisir. Tu as fait du très bon boulot, l’histoire m’a fait beaucoup d’effet (dont celui de stimuler mon imagination, comme tu peux le voir) et je t’en félicite. Bravo !


Commentaire de kwyxz

17/8/2005 @ 22:36

Merci pour toutes ces remarques hautement judicieuses, Bart :)


Commentaire de rom1

17/8/2005 @ 22:55

Terrifiante histoire. Le monde ne tient qu’ à un fil… qui peut etre rompu par l’homme détenant le pouvoir d’appuyer sur le bouton. Ton style est exellent, je suis juste frustré car j’aurai aimé que ce soit plus long (comme un bon film, on a pas envie que ca se termine). La fin est carrément innatendue… top !


Commentaire de seb4771

18/8/2005 @ 0:07

Il restera les scorpions, les scorpions nous survivrons eux.

Après tout, on est une race évoluée et c’est tout.


Commentaire de choda

18/8/2005 @ 12:27

Tu veux de l’optimisme Bart, et bien regarde le premier épisode de “Odyssey 5″… 5 astronautes qui assistent impuissant à la destruction de la Terre depuis leur fusée en orbite… le début laisse rêveur (…), sauf que une entité extraterrestre vient tout saccager en leur permettant de retourner 5 ans en arrière avant d’empêcher que le cataclysme n’ait lieu.

Ce qui est con, c’est que la série aurait du durer 5 ans, mais au final ne dura que 14 épisodes :/


Commentaire de kwyxz

18/8/2005 @ 12:41

Sinon y’a H2G2 pour voir la Terre détruite, c’est pas mal non plus.


Commentaire de Doudou

18/8/2005 @ 21:38

Fantastique!

Poignant, j’ai lu d’un bout à l’autre sans m’arrêter…
Très bien écrit, recommence quand tu veux!

Et même si la fin est optimiste (un peu), bah au moins, ça a le mérite de donner justement un peu d’espoir, et que la race humaine ne disparaitra pas uniquement à cause de nos chers dirigeants… =/

Remarque également sur le fait directeur de cette attaque chinoise… l’aspect économique qui déclenche la guerre!
Comme chacun le sait, avant, les guerres étaient essentiellement religieuse (toujours un petit peu), maintenant, c’est essentiellement de causes économiques… moi je dis bravo!


Trackback de Lalo-blog

19/8/2005 @ 11:27

Lundi

En cinq posts, dont voici le premier, on bascule d’un sourire léger à une gravité plus sourde. On finit par avoir le sentiment de vivre dans un autre monde et d’avoir la chance de pouvoir encore lire ces quelques lignes écrites par Benjamin, aka Kwyx…


Commentaire de choda

19/8/2005 @ 13:31

Hum, je vois beaucoup trop de critiques positives ici.
Cette unanimité est louche…

Tiens ça me rappelle : http://www.kwyxz.org/weblog/?p=804
Arrête de faire commenter tes potes et rembourse moi ma bande passante, vil saligaud !


Commentaire de gromit

19/8/2005 @ 20:08

“Nous étions vingt-et-un volontaires […] vingt-cinq ans plus tard, nous sommes désormais cent Robinson à habiter cette base”

Donc en 25 ans il y a eu 79 naissances soit environ en moyenne 3 naissances par an (3,16 pour les puristes) Sachant qu’un enfant ça demande environ 1 an à fabriquer (9 mois pour les puristes) on peut en déduire qu’il y a au moins 3 femmes dans l’équipage si on prend l’hypothèse que 25 ans après leurs naissances les premiers “martiens” (bah ouais y sont pas nés sur la terre) n’ont toujours pas eu d’enfants : ne pas oublier que le premier enfant d’un couple en france en 2005 arrive à 28 ans (même si sur la planète rouge y doit pas y avoir grand chose à faire sinon baiser mais bon admettons que la pilule et les préservatifs ont été envoyé par tonne par la nasa et que nos chers martiens ne soit pas pressés par la reproduction)

donc on peut dire qu’il y a chez les 21 membres de l’équipage de départ :
> au moins 3 femmes et au plus 20 femmes (bah ouais y doit pas y avoir de banque de sperme dans l’espace)
> au moins 1 homme donc et au plus 18 hommes (puisque qu’on a dit qu’il y avait au minimun 3 femmes)

tout ça pour faire mienne une réplique volé au plus misanthrope des français :

“La femme est beaucoup plus que ce mammifère inférieur qu’on nous décrit dans les loges phallocratiques. La femme est l’égal du cheval. Et de même qu’il ne peut pas vivre sans cheval, l’homme ne peut pas vivre sans femme. Comme la femme, le cheval permet à l’homme de s’accrocher derrière pour labourer (note de gromit : labourer en seul mot bien sur)


Commentaire de Whity

22/8/2005 @ 0:11

Mmmh… Comme beaucoup d’autres, j’ai enchainé les 5 “épisodes”. Extremement agréable à lire, on peut deviner à partir du deuxième “lundi” le déroulement probable de l’histoire. Ce qui n’enlève rien au plaisir de lire un auteur au style très agréable. Mais ce qui m’a particulièrement plu, c’est la fin. Alors certes, ca peut passer pour la séquence émotion, mais je trouve ça merveilleusement émouvant, et poétique.

Avec une fin dans le gout de Bart,on passait dans le noir, et ça aurait été une très bonne fin aussi, et qui m’aurait fait sans doute encore plus pleurer.
Mais l’idée des cosmonautes condamnés à revenir sur la Terre sans vie, ça aurait pu donner lieu à un récit psychologique sur la lente dégradation de la raison des personnages…Comment se décider à occuper se sderniers instants de vie en se sachant condamné à une mort certaine ? A t-on encore envie de les occuper ? La théorie la plus probable, c’est le suicide, mais encore faut il avoir le courage de le faire…

Bref, merci:)


Commentaire de Fred Bird

23/8/2005 @ 11:03

Effets détaillés d’une bombe atomique : http://solsys-ap.ifrance.com/contexte/contexte-i.htm


Commentaire de boudjellal

10/9/2005 @ 13:39

demain 11/09 le souvenir d’un telescopage dans le ciel de New York!


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