Tout ça pour ça

Dans la catégorie: Écrits — kwyxz le 25/11/11 à 1:20

Les sifflements assourdissants des tirs allemands donnaient le vertige. Autour de nous, un déluge de feu, de sang, de sable, d’eau de mer, un tourbillon de cris, de larmes, de mort. J’aurais préféré découvrir les plages normandes à une autre occasion. Devant nous, le capitaine hurlait à qui pouvait encore l’entendre qu’il nous fallait avancer, que nous n’avions pas fait tout ce trajet pour rien, que nous n’étions qu’une bande de trouillards si nous n’avancions pas, mais avancer où, comment, lorsque les cadavres de nos compagnons s’entassent et semblent former un mur infranchissable ? Lentement, nous parvenions à nous rapprocher des blockhaus d’où émanaient de furieuses salves de métal chauffé à blanc. Arrivés à flanc d’une colline, nous nous allongeâmes immédiatement le long de ce qui allait pour les trente minutes suivantes devenir un abri de fortune. Il fallut une dizaine de grenades, mais finalement l’une d’entre elles parvint à pénétrer la meurtrière derrière laquelle se terraient nos agresseurs. Trop heureux à l’idée de pouvoir observer le résultat de cet exploit, nous nous précipitâmes à l’intérieur et découvrîmes à notre grande surprise que deux des soldats allemands étaient encore vivants. Immédiatement à ma droite, le G.I. Shawn Goggins reçut un coup de couteau rouillé dans le genou. Il s’effondra en hurlant de douleur, non sans avoir le temps d’achever son assaillant d’une balle entre les deux yeux. L’autre soldat fut fait prisonnier. Tandis qu’il se penchait sur Shawn et regardait la vilaine plaie ouverte, le capitaine prit un air contrit et gromella “Better cut the damn leg…” et alors que la stupéfaction se lisait sur nos visages il tenta maladroitement de s’expliquer “…he’s one foot in the grave already !”

Nous sortîmes du blockhaus et je soutenais Shawn. Pendant ce temps sur la plage, nos camarades progressaient eux aussi petit à petit et les dernières lignes de résistance allemandes tombaient les unes après les autres. Deux heures plus tard, leurs troupes étaient en déroute et le débarquement était un succès… malgré son coût atroce en vies humaines. Des dizaines, des centaines de mes copains étaient quelque part, là, dans l’eau, sous le sable, sous les corps, sous le sang. Alors que les larmes perlaient sur mes joues, une explosion me tira de ma torpeur: notre prisonnier allemand venait de marcher sur une mine. Ses deux jambes étaient en charpie, son torse brûlé, son visage se tordait de douleur. Autour de lui, beaucoup venaient d’hériter de shrapnels souvenirs dans leurs bras, leurs jambes, leurs corps, et très vite tous furent persuadés qu’il avait volontairement sauté sur l’explosif afin de blesser le plus possible d’entre nous. Le capitaine trancha rapidement “Let the bastard die… one less poor fuck to feed…” et tout le monde fut d’accord pour l’abandonner sur la plage, même si on jura, une fois ses cris de souffrance réduits à néant, qu’il s’agissait d’un rire vengeur.

Nous voulions gagner au plus vite un village avant la nuit, persuadés qu’il nous allait falloir combattre de nouveau. Le long des routes, des morts, hommes, femmes, animaux, par dizaines. Nous nous demandions à quoi ressemblait Paris, si la capitale était un charnier tel que ce que nous avions vu sur la côte. Si les français étaient vraiment de notre côté, ou s’ils avaient tous pactisé avec l’occupant. Les avions de la Royal Air Force fendirent le ciel orangé, en direction du soleil couchant. D’après le capitaine, ils avaient effectué des bombardements préalables et nous devrions parvenir à gagner le village assez rapidement. En vue du clocher, nous nous séparâmes en trois groupes afin de couvrir chaque axe principal et si quelques tirs se firent entendre vers l’ouest, c’est un village déserté que nous découvrîmes. Les allemands avaient fait le ménage et assassiné les quelques derniers habitants. Le capitaine entr’ouvrit la porte de l’église, s’agenouilla devant le crucifix. Alors qu’il se signait, je l’entendis psalmodier ces mots énigmatiques: “Doctor House is not Mickey Mouse.”

Pochtron, tu f’rais mieux d’m’écrire une chanson

Dans la catégorie: Monte le son — kwyxz le 12/11/11 à 22:59

(Lettre ouverte à Renaud Séchan)

Je ne sais plus quand j’ai commencé à t’écouter, j’étais jeune pour sûr, je devais avoir même pas 7 ou 8 ans, mais elles me faisaient marrer tes chansons. Bien sûr je ne comprenais pas vraiment les paroles, et toutes n’étaient pas marrantes, mais Mon HLM, Marche à l’Ombre, Baby-Sitting Blues ou Le Retour de la Pépette, quelle poilade.
Avec les années, et le recul, j’ai appris à faire plus attention aux textes, à en saisir la tonalité dramatique aussi, et les titres qui me paraissaient moins accessibles prirent toute leur véritable portée. Bouleversants, émouvants, attendrissants, des morceaux comme Baston, Manu, Pierrot, tous plus formidables les uns que les autres, tous porteurs d’un message, souvent positif, vecteurs d’amitié, de compassion, de tendresse.
Lorsque j’ai découvert Le Sirop de la Rue, incroyable pépite d’un album injustement mésestimé, ce fut un immense choc. Je n’avais rien vécu de tout ce qui est raconté, et tout à la fois. Cette chanson est une véritable ôde aux gamins ayant grandi en ville, à ceux qui sont partis au bord de la mer les étés, elle est intemporelle, dansante, joyeuse, entraînante, et pourtant se termine sur une note sombre en contrepoint total du reste du texte. Tu y parles de tes souvenirs, mais tu en profites pour balancer quelques-unes de tes principales inquiétudes, en remettre une couche sur tous ces “connards” que tu adores détester. Et en t’écoutant, je ris, je pleure, je m’identifie. Je vis.
Je t’ai vu en concert une fois, une seule. C’était le 24 novembre 1999, lors de la tournée “Une guitare, un piano, et Renaud”, mes parents avaient entendu que tu allais passer à côté de Poitiers, dans une toute petite salle, et avaient eu la gentillesse de m’offrir une place. Je m’en voulais de n’avoir pas suivi ton actualité, j’ignorais simplement qu’à cette époque il n’y en avait pas. J’ignorais donc tout des motivations derrière cette tournée, de tes problèmes d’alcool, de tes difficultés à écrire. Dans la salle tout le monde t’adorait. Tout le monde connaissait la moindre parole de n’importe laquelle de tes chansons. Tu nous as beaucoup parlé, de toi, de tes copains. De ton futur album, qui arriverait un jour, peut-être. Tu n’étais pas à ton meilleur, et pourtant ce fut l’un des concerts les plus marquants de mon existence, parce que jamais auparavant, et jamais par la suite je n’ai ressenti cette connexion entre un artiste et son public. Tu la ressentais toi-même.
Lorsque Boucan d’Enfer est sorti je ne l’ai pas beaucoup aimé. En particulier Manhattan-Kaboul, un morceau beaucoup trop lisse, trop gentillet, trop mièvre pour toi qui n’hésitais jamais par le passé à dénoncer ces excès vomitifs de bons sentiments. Un morceau beaucoup trop formaté pour la bande FM qui l’a diffusé jusqu’à l’écoeurement. Un morceau que je déteste désormais viscéralement. La tournée qui a suivi, je m’en suis senti curieusement étranger. Tous ces gens qui parlaient de toi avec des mots élogieux, où étaient-ils alors que tu étais au fond du gouffre ? Ils me faisaient penser à ces faux “amis” qui te tournent autour lorsque tu es au top, mais oublient étrangement de te rappeller lorsque les choses tournent mal.
Rouge Sang m’a interloqué, et je me suis surpris à vouloir ne pas l’aimer, un petit peu d’élitisme mal placé peut-être, pourtant j’ai fini par beaucoup l’apprécier même s’il n’a plus le punch de tes anciens albums. Tu n’as pas perdu ton verbe incisif, tu n’as pas perdu ton talent. La voix n’est plus là, et alors ? Ce n’est pas ce que ton public te demande. Ton vrai public. Celui qui t’aime, et qui t’aimera toujours même si tu n’écris plus beaucoup. Même si tu sors une douzaine de mauvais albums.
Ton public comme ce petit garçon qui vit toujours en moi, quelque part (pour vivre heureux, il vit caché), qui est ému aux larmes en lisant que tu sembles baisser les bras.

S’il te plaît mec, te jette pas. Ou jette-toi avec nous.